8 heures du matin. Le soleil est déjà cuisant Place Jamaa El Fna à Marrakech. 42 degrés au petit matin. Nous n’osons pas imaginer la chaleur de midi. Devant le bureau de poste nous attendent notre guide et une dynamique famille française avec lesquels nous partirons deux semaines avec nos pieds comme seul moyen de transport… ou presque! Nous devons tout de même nous rendre en camionnette au point de départ de la randonnée, à la porte des montagnes. Là-bas, nous ferons la connaissance de nos muletiers et notre cuisinier.
Notre guide, Ali, est un Marocain aux origines berbères. Avec ses vêtements occidentaux et ses nombreux voyages en France, on s’amuse bientôt à dire qu’il est le plus Français des Marocains. N’empêche qu’on s’aperçoit rapidement que ses connaissances de l’Atlas sont infinies, de la politique à la flore en passant par la géologie et l’ethnologie. Avec Ali, aucune question ne va demeurer sans réponse sur notre parcours.
La première semaine de trek s’amorce donc dans les splendeurs des montagnes semi-désertiques du Haut-Atlas où la végétation nous rappelle la toundra et où les habitants vivent dans des villages suspendus sur les toits du monde. Ceux qu’on appelle souvent «berbères», mais dont le nom plus approprié est Imazighen (hommes libres) se déplacent au fil des saisons. Historiquement, ce peuple a su résister avec succès au pouvoir central des sultans marocains et a eu un rôle majeur dans la lutte contre la colonisation française et espagnole.
L’origine du mot « berbère »remonte à la culture gréco-latine. Le terme barbarus désignait l’étranger à la cité, celui qui « ne sait pas parler » (ou seulement par des balbutiements, d’où l’onomatopée « bar-bare »). Cela explique pourquoi, sans renier totalement ce mot, les Berbères préfèrent le nom qu’ils se donnent dans leur langue, les Imazighen.
Avec la récente électrification des villages les plus reculés, leur mode de vie se transforme, mais on les dit encore nomades-sédentaires.
De notre côté, nous avons adopté le nomadisme pour quelques jours. Je m’amuse à dire que nous faisons du camping cinq étoiles. Des muletiers s’occupent du transport de nos bagages et un cuisinier nous concocte des plats comme le tajine de poulet, le couscous aux légumes, les salades marocaines et les soupes de lentilles. Toute cette gastronomie est préparée sous la tente-cuisine avec des instruments élémentaires. À chaque repas, nous applaudissons la débrouillardise du chef. Le soir nous dormons en bivouac au cœur de la nature. Le jour, nos promenades quotidiennes durent de quatre à six heures et s’allient difficilement aux températures caniculaires qui dépassent les 40 degrés Celsius. Un soleil africain à son zénith semble nous surveiller du matin au soir. Il est fidèle au rendez-vous, alors que les nuages, eux, se font plutôt discrets.
Si les habitants parcourent les sentiers par nécessité, nous marchons les mêmes chemins par goût d’exotisme. C’est un non-sens qui me gêne un peu lorsque notre groupe croise des enfants qui s’époumonent au champ pour aider leur famille. Nous traversons des villages comme des fantômes. En vitesse. Notre guide adresse toujours quelques mots dans sa langue à des habitants pour cueillir quelques informations sur la communauté qu’il nous traduit presque instantanément. C’est bien. Mais j’ai le sentiment d’effleurer une réalité sans parvenir à m’imprégner complètement de la culture.
Nous ne sommes pourtant pas un groupe de riches parvenus débarqués en sol étranger pour observer les étrangers comme des pièces de musée, mais souvent, je ne peux m’empêcher de diriger subtilement ma caméra dans leur direction pour capter un instant de leur vie. Comme si l’existence de communauté se résumait en une image figée sans présent ni avenir. Comme si une petite semaine nous permettait de raconter un peuple qui revendique sa présence dans l’histoire depuis 5000 ans. Je suis ici pour rapporter des images. C’est mon travail. Mais j’ai du mal à ne pas me sentir une voleuse d’âme. D’ailleurs, plusieurs enfants sont paniqués à la vue de nos appareils photo ou vidéo. Ils agitent le doigt : «Noooo!»
Même si je ne rapporte pas dans mes souvenirs la vérité absolue sur une culture, j’effleure, dans ces paysages arides du Maroc, la culture des gens qui vivent en pleine autonomie, loin de la société de consommation. Aussi, j’ai une chance unique de partager du temps avec un guide originaire de ces montagnes qui pose un regard critique sur sa société marocaine bousculée par les contradictions. J’ai aussi l’opportunité de partager de riches conversations autour d’un thé à la menthe alors que le Maroc, la France et le Québec se retrouvent sous un même toit, celui d’une tente au milieu de nulle part avec comme seul trame de fond, les grillons et les chants berbères de nos muletiers. Et nous marchons et nous marchons encore. Jour après jour… après jour. Puis notre semaine s’achève. Demain, la côte atlantique nous attend pour une seconde semaine de trek.