À travers les lieux que l’on fréquente, on se bâtirait un patrimoine identitaire géographique, une mappemonde personnelle. Les lieux que l’on collectionne constitueraient une extension du soi.
Mon patrimoine identitaire géographique à moi est truffé de cafés, de musées, de berges, de parcs et de rues. Mon grand paradoxe : j’adore voyager pour être dépaysée, étonnée, déstabilisée, mais je retourne régulièrement sur mes pas pour revivre un moment dans un lieu X en quête de l’émotion qui m’y a guidée pour la première fois. J’aime observer l’humain et son rapport à l’environnement. J’apprécie les paysages lunaires d’Islande, mais je préfère de loin une bibliothèque bondée d’une foule métissée du quartier St-Laurent. Chacun ses intérêts!
Capturer l’instant
Certains lieux m’envahissent complètement, jusqu’à cultiver une obsession, certains jours, de m’y retrouver. Il m’arrive régulièrement de parcourir plusieurs dizaines de kilomètres pour déguster un latte dans un café des Laurentides ou de traverser la ville de Montréal au complet pour retrouver le Canal Lachine de mon enfance. Parfois même, cette folie m’amène à me planifier un voyage dans la capitale de Mexico pour replonger dans le quartier de La Roma ou au Guatemala pour respirer à nouveau l’air délicieux du parc central de la ville d’Antigua. Et là, j’y pratique mon activité préférée depuis que j’ai l’âge de prendre l’autobus pour aller me perdre ailleurs : la déambulation.
Mais qu’est-ce qui fait qu’un lieu m’habite au point que j’en devienne une ambassadrice informelle? Je pense que tout naît d’une émotion. On aime retrouver un peu de soi dans ces lieux et un peu de ce qu’on voudrait être. Je cherche des occasions de tisser des liens avec des gens qui me ressemblent ou à qui j’aimerais ressembler. Je capture l’instant et je le dépose confortablement en moi. Souvent j’écris, des fois je dessine. Le lieu de bonheur crée assez d’espace en moi pour que j’anime le moteur de la créativité.
Au-delà de Pinterest
J’ai toujours été fascinée par l’échec de certains commerces (particulièrement les cafés) qui, malgré les efforts de copier-coller une image Pinterest de décor pseudo-industriel, n’arrivent pas à attirer la clientèle branchée du café d’en face décoré humblement. Évidemment, le problème réside dans un ensemble de facteurs (ventilation bruyante, plafond trop haut, propriétaire antipathique ou radio commerciale en arrière-plan), mais je pense que ce qui fait particulièrement la différence, c’est l’honnêteté de la démarche de l’entrepreneur qui est derrière tout ça. Faire les choses pour les bonnes raisons, avec l’envie de partager une façon de vivre, une ambiance, une identité. Ça se sent et ça donne une âme. Pas toujours facile à saisir quand on se lance en affaires.
S’il y a donc des endroits qui me donnent envie de m’éterniser, il y a aussi ceux que je fuis. Les centres commerciaux, par exemple. Vous me direz que ma quête d’humanité y est bien servie, mais je ressens un profond malaise quand je circule dans ces labyrinthes de consommation. Un stress physique. C’est triste que ces espaces bétonnés se multiplient sur les rives de nos autoroutes et qu’on nous fasse croire qu’il est normal de les côtoyer de plus en plus. Ces lieux sans âme m’étourdissent, me vident de mon énergie lorsque je les traverse. J’ai récemment mis la main sur le livre Et si la beauté rendait heureux, co-écrit par le journaliste François Cardinal et l’architecte Pierre Thibault. C’est un plaidoyer pour la mise en valeur de la beauté de notre monde pour un bien-être collectif, mais c’est aussi un cri d’alarme pour nous rappeler que les lieux laids continuent de pousser en sourdine sur notre territoire. Cet extrait m’a fait particulièrement réfléchir sur l’urgence de s’intéresser à cette question avant que la beauté nous échappe.
La beauté me touche énormément. Mais l’absence de beauté aussi. Je trouve difficile de regarder tout ce que nous construisons de non pertinent. Nous dépensons collectivement énormément de temps, d’énergie et d’argent à créer de environnements hostiles, perturbants, irritants. Nous investissons beaucoup pour nous empoisonner l’existence, alors qu’il serait si facile…de ne pas le faire.
-Pierre Thibault
Ils m’habitent
J’ai régulièrement envie que le bien-être qui m’envahit dans un lieu se propage. Et ce désir de partage m’est venu bien avant qu’Instagram m’offre une plateforme pour le faire! Voici donc une courte liste, très personnelle, de ces endroits (pas trop éloignés) qui me procurent du bonheur lorsque je les visite. J’ai écrit sans réfléchir pour me rappeler où j’irais me réfugier spontanément si tout basculait et que mon petit coeur avait besoin d’être dorloté.
Le café bistro Le Mouton Noir de Val-David. Parce que ce petit repère sur le bord de la Rivière du Nord dans les Laurentides respire la légèreté. Ses proprios Eric et Annie y sont certainement pour beaucoup. Dès que j’y mets le pied, je m’y sens en voyage. Le décor vaguement hippie, loin d’être dépouillé, me rappelle peut-être certaines escapades au bout du monde. J’y ai vu les meilleurs spectacles. J’y ai bu le meilleur café. 2301, rue de l’Église, Val-David
La Bibliothèque Saul Bellow à Lachine. Parce que c’est la bibliothèque de mon enfance où ma grand-maman allait m’installer pendant qu’elle magasinait durant des heures de l’autre côté de la rue. J’y ai développé un puissant goût pour la lecture, mais aussi, un amour pour l’idée de la bibliothèque, lieu profondément démocratique où toutes les classes sociales se côtoient. Le lieu a récemment été agrandi et réaménagé pour devenir un petit bonheur architectural moderne et confortable. 3100, rue Saint-Antoine, Lachine
Le Camellia Sinensis de la rue Emery. Parce que ce lieu ne s’est jamais travesti, malgré sa popularité toujours grandissante. J’y ai développé mon amour pour le thé vert japonais. Encore aujourd’hui, les technologies n’y sont pas les bienvenues pour nous laisser vivre un moment rare, loin de notre téléphone. Décor zen. 351, rue Émery, Montréal
Le Parc René-Lévesque à Lachine. Parce que sa vue imprenable sur le Lac St-Louis est pour moi la plus belle de l’Île de Montréal. Toute mon enfance, j’ai parcouru cette presqu’île à vélo avec un regard intrigué sur les 50 oeuvres sculpturales en plein-air. Au bout, des cyclistes et des marcheurs s’éternisent devant cet élargissement du Fleuve St-Laurent. On s’y sent bien loin de la ville et pourtant…
Le Musée des Beaux-Arts de Montréal. Parce que j’ai commencé à fréquenter cet endroit à l’âge de 9 ans et que j’y ai tout de suite développé mon grand intérêt pour l’art visuel. J’ai constaté que lorsque je déambulais dans une exposition, je sentais se créer en moi de l’espace pour accueillir les couleurs et les formes. Aller au musée est ma petite thérapie pour calmer les hamsters qui courent sans relâche dans ma petite tête. Il faut aller voir le nouveau pavillon du Musée. 1380, rue Sherbrooke O, Montréal