Je suis rapidement tombée sous le charme de Josefina López Méndez, cette jeune femme chef qui excelle dans la composition de plats colorés alliant tradition et modernité. J’ai eu la chance de la rencontrer lors d’un séjour au chic hôtel Presidente InterContinental à Mexico qui abrite le restaurant Chapulín où elle confectionne ses merveilles gastronomiques.
Comment est née cette envie de devenir chef ?
Je suis originaire d’Oaxaca, au sud du pays. Nous faisons partie d’une communauté très traditionnelle où tout le monde s’unit pour célébrer les fêtes. Quand nous étions petits, mes grands-parents nous faisaient découvrir la vie dans les champs. Ils m’ont enseigné à récolter le maïs pour en faire des tortillas ou à le cuire pour le manger entier. Nous avions également des vaches et nous fabriquions notre propre fromage. L’une de mes grands-mères se consacrait à la préparation du mole. Nous étions submergés par les traditions culinaires, et c’est comme ça qu’est né mon intérêt pour la cuisine. J’ignorais qu’il était vraiment possible d’étudier dans le domaine jusqu’à ce qu’on m’apprenne l’existence d’études en gastronomie. Je me suis lancée dans l’aventure, et cela fait maintenant huit ans que je me dévoue entièrement à la cuisine.
Comment décririez-vous votre restaurant, Chapulín ?
Le nom du restaurant, Chapulín [sauterelle en espagnol], représente l’insecte qu’on trouve le plus au Mexique. Nous proposons un restaurant moderne en termes d’architecture, mais dans la cuisine, nous utilisons tous les ingrédients qui évoquent la tradition culinaire mexicaine. Le concept du restaurant a été imaginé par des Mexicains et non des étrangers. L’architecte Rafael Soma s’est occupé de dessiner la structure, constituée principalement de bois et d’argile noire. Les murs d’argile, par exemple, ont été travaillés par un collectif de femmes artistes de la région d’Oaxaca. Notre terrasse, complètement ouverte sur la nature, rappelle cette relation privilégiée que nous entretenons avec notre environnement.
Nous tentons de cuisiner avec des produits qui viennent de partout au Mexique. Si on retourne à l’époque préhispanique, il y avait déjà cette tradition de transporter la nourriture d’un lieu à l’autre. Pensons à Moctezuma, l’empereur le plus important qu’a connu la ville de Mexico : il pouvait faire venir du poisson frais d’aussi loin que Veracruz en une seule journée grâce à des canaux qu’il faisait construire. Nous tentons de poursuivre cette tradition. Nous transformons les aliments en utilisant les techniques traditionnelles que nos mères nous ont enseignées, car nous avons beaucoup de respect pour ces femmes. À Chapulín, nous donnons aux plats traditionnels une touche amusante où s’entremêlent parfois des ingrédients que nous n’avons pas l’habitude de conjuguer. Par exemple, nous préparons une salade de tomates, un des aliments les plus représentatifs de la cuisine mexicaine, dans laquelle nous incorporons des tomates de différentes provenances que nous mélangeons avec du melon et du fromage de chèvre. Nous aimons faire des plats très colorés, à l’image de notre culture festive, de nos drapeaux, de nos vêtements traditionnels et de la diversité de notre peuple.
Y a-t-il un aliment que vous préférez cuisiner ?
Bien sûr ! Je pense que chaque chef a ses aliments préférés ! Pour ma part, ce sont les piments (chiles), qui sont emblématiques du Mexique. Je pense au piment chilhuacle, l’un des plus anciens de notre culture, ou encore au piment pasilla, plus petit, mais qui est très fumé et aromatique. J’aime aussi cuisiner une herbe qu’on appelle poleo, qui se rapproche de la menthe en matière d’odeur et de goût. Elle est aussi très bonne en tisane pour les maux de ventre. Et, finalement, j’aime le chepiche, une herbe qui pousse en campagne. C’est frais et ça goûte l’humidité de la terre. Nous l’utilisons surtout dans nos soupes.
Que diriez-vous aux gens qui hésitent à goûter aux fameuses chapulines [sauterelles] ?
Si vous venez à Mexico, vous devez absolument goûter à nos insectes, parce que c’est un aliment qui fait partie de notre culture culinaire depuis très longtemps. Les chapulines sont savoureuses et contiennent énormément de protéines. Elles grandissent dans l’herbe ; elles sont donc organiques et propres. Nous les récoltons dans la luzerne et elles se nourrissent des éléments qu’on trouve dans la terre. Nous recevons à notre restaurant beaucoup de visiteurs étrangers qui, étonnamment, sont ceux qui s’aventurent le plus à découvrir le goût des insectes.
Le monde de la cuisine est, encore aujourd’hui, un monde très masculin. Avez-vous eu des défis à surmonter comme femme chef ?
Malheureusement, le Mexique est un pays encore assez machiste. Les préjugés persistent à l’égard des femmes. Naïvement, je n’avais jamais pensé qu’il y aurait de la discrimination dans le monde de la cuisine, car depuis que je suis enfant, je vois des femmes faire à manger. Finalement, il est évident que, dans le monde professionnel, les hommes sont beaucoup plus présents. Dans le groupe de restaurants de la chaîne d’hôtels Presidente, je suis encore la seule femme, et ça n’a pas été facile de faire ma place. Toutefois, je crois que c’est en train de changer et qu’on laisse beaucoup plus d’espace à la gent féminine.
Que préférez-vous dans votre travail ?
Ouf ! Il y a tant de choses ! [Rires] Je pense que c’est d’essayer de nouveaux plats et de discuter avec des gens qui viennent de l’étranger pour s’intéresser à ce que nous faisons. Je crois vraiment que notre cuisine est la meilleure manière d’exposer ce que nous sommes, ce que nous avons été et vers où nous allons comme peuple.